Imposition des SCI françaises : enjeux et impacts de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_365/2021 du 13 décembre 2022
31/03/2023

Imposition des SCI françaises : enjeux et impacts de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_365/2021 du 13 décembre 2022

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a tranché la question de savoir si les parts d’une société civile immobilière française (« SCI ») détenues par un résident suisse devaient être soumises à l’impôt sur la fortune en Suisse. Au terme de son analyse, le Tribunal fédéral a confirmé que les parts de SCI s’assimilent à des valeurs mobilières, de sorte que, sous l’angle de l’impôt sur la fortune, le droit de taxer les parts revenait à la Suisse si le détenteur n’était pas soumis en France à l’impôt sur la fortune immobilière (« IFI »). La Tribunal fédéral valide ainsi la pratique de l’Administration cantonale des impôts vaudoise.  

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I. Notion

La SCI est une personne morale ayant pour but la gestion d’un ou plusieurs biens immobiliers. En droit français, celle-ci peut être traitée en transparence, c’est-à-dire que le droit fiscal fait abstraction de l’existence juridique de la société et se concentre uniquement sur ses actifs et ses rendements, ceux-ci étant alors imposés directement auprès de la personne détentrice comme éléments de sa fortune immobilière.

La SCI est un véhicule de détention largement utilisé par les résidents suisses possédant un patrimoine immobilier en France, et ceci notamment pour les avantages juridiques et fiscaux qu’il peut offrir en France mais aussi en Suisse - en tout cas jusqu’à la dénonciation unilatérale par la France de la convention contre la double imposition en matière d’impôt sur les successions le 17 juin 2014 avec effet au 1er janvier 2015.

Au niveau Suisse, le traitement fiscal des parts de SCI a souvent posé des difficultés en pratique. Faut-il traiter la SCI en transparence (comme en France) ou en opacité ? En d’autres termes, les parts de SCI peuvent-elles être assimilées fiscalement à un immeuble (approche en transparence) ou au contraire doivent-elle être assimilées à des valeurs mobilières (approche opaque) ? Selon l’approche retenue, le traitement fiscal diffère considérablement. En effet, les immeubles situés à l’étranger sont exemptés de l’impôt sous réserve de la progressivité du taux, alors que les valeurs mobilières sont imposables en Suisse. Sur cette question les pratiques cantonales diffèrent. La plupart des cantons (dont Genève) admettaient toutefois le traitement fiscal des SCI en tant que biens immobiliers situés à l’étranger.  

Dans le cas présent, l’Administration cantonale des impôts vaudoise a considéré que pour être exonéré de l’impôt sur la fortune, les parts de SCI devaient faire l’objet d’une imposition effective en France au titre de l’IFI.  

II. Les faits

A. est domiciliée dans le canton de Vaud. Dans le cadre de sa déclaration d’impôt relative à la période fiscale 2016, elle indique détenir 99% des droits de participation d’une SCI française, celle-ci étant à son tour propriétaire de deux immeubles d’une valeur totale estimée environ à CHF 1 million.

En France, aucun impôt sur la fortune immobilière (IFI) n’a été perçu car la valeur de la part d’immeuble détenue par A. est inférieure au seuil d’imposition fixé à EUR 1,3 million.

Cependant, en Suisse, les autorités fiscales cantonales ont considéré que les parts de la SCI française détenues par A. constituent des valeurs mobilières imposables en Suisse et non pas seulement une information utile à la détermination du taux d’imposition.

A. conteste cette imposition jusqu’au Tribunal fédéral.

III. L'enjeu

Le Tribunal fédéral s’est confronté à la question de savoir s’il est possible d’imposer en Suisse, en tant que fortune mobilière, des parts sociales d’une SCI française détenues par une personne domiciliée en Suisse dans le canton de Vaud, compte tenu de la Convention de double imposition entre la Suisse et la France (« CDI CH-F »). 

La recourante soutient notamment que la CDI CH-F interdit à la Suisse de prélever un impôt sur les parts de SCI si la France en prévoit déjà un.

Les autorités fiscales cantonales suisses, ainsi que le Tribunal cantonal vaudois, considèrent au contraire que, l’impôt en France n’ayant pas été effectivement perçu, les autorités suisses sont compétentes pour prélever un impôt conformément à leur droit interne, évitant in fine une double non-imposition.

IV. Le raisonnement du Tribunal fédéral

Le Tribunal fédéral rejette le recours interjeté par A. et donne raison aux autorités fiscales cantonales et au Tribunal cantonal vaudois.

Notre Haute Cour examine dans un premier temps l’existence d’un droit interne d’imposition, puis vérifie dans un second temps que ce droit d’imposition ne soit pas limité par une disposition de la Convention qui restreint ou élimine une éventuelle double imposition internationale.

De ce point de vue, le Tribunal fédéral rappelle que les SCI françaises sont considérées comme des personnes morales en droit suisse (2C_729/2019 du 7 juillet 2020).  Dès lors, une part de SCI constitue un élément de la fortune mobilière et est donc imposable en tant que tel.

Sur le plan du droit français, une part de SCI est imposable en tant qu’élément de la fortune immobilière étant donné que les SCI sont imposées en transparence. Néanmoins, cette imposition est limitée aux valeurs immobilières dépassant le seuil de EUR 1,3 million.

Notre Haute Cour examine ensuite la CDI CH-FR, dont l’art. 24 §2 CDI CH-F prévoit en substance que la fortune constituée par des parts de société dont l’actif est principalement composé de biens immobiliers est imposable dans le lieu de situation de l’immeuble et exonérée dans l’autre Etat. Sur le principe, les parts de la recourante sont dès lors imposables en France. Or, le seuil de EUR 1,3 million n’étant pas atteint, aucun impôt n’a effectivement été perçu.

En se fondant sur l’art. 25 B §1 CDI CH-F, et par suite d’une interprétation historique et téléologique, le Tribunal fédéral confirme que les parts sociales de A. sont alors imposables en Suisse. Cette disposition indique en effet qu’il y a lieu d’exonérer « qu’après justification de l’imposition ». Il ne suffit pas que l’impôt existe sur le principe, il faut également qu’il soit réellement perçu.

En conclusion, le Tribunal fédéral confirme que la Suisse peut imposer, dans le cadre de l’impôt sur la fortune mobilière, les parts sociales d’une SCI détenues par une personne domiciliée en Suisse sans empiéter la souveraineté fiscale de la France si aucun impôt n’y a été perçu.

V. Conséquences pratiques

Cette jurisprudence confirme la position de l’Administration cantonale des impôts vaudoise. Elle a pour principale conséquence l’augmentation de l’assiette de fortune imposable en Suisse avec en parallèle une modification de la répartition des intérêts passifs et des dettes. Il est probable que les autres cantons s’aligneront à cette décision. L’Administration fiscale du canton de Genève a d’ores et déjà annoncé qu’elle adaptera sa pratique en conséquence.

A la suite de cet arrêt, et bien qu’il ne porte que sur l’impôt sur la fortune, de nombreuses questions restent ouvertes concernant le traitement fiscal applicable à d’autres impôts et notamment en cas de vente des parts de la SCI, de distribution de dividende (dissimulé ou non) ou d’excédent de liquidation. Les conséquences fiscales sur ce type d’opérations sont pour le moment incertaines et pourraient s’avérer particulièrement onéreuses.

Cette décision réduit encore un peu plus l’attractivité de ce mode de détention. Ceci s’ajoute à la problématique déjà existante de la double imposition liée aux parts de SCI détenues par des résidents suisses depuis la dénonciation par la France de la convention fiscale en matière de succession en 2014.

Il est dès lors recommandé aux titulaires de parts de SCI qui résident en Suisse de procéder à une analyse de la structure de détention de leur patrimoine immobilier français afin d’identifier et d’être en mesure de limiter les risques fiscaux potentiels. Quant aux résidents suisses qui souhaitent investir dans des biens immobiliers en France et qui envisagent à cet effet de constituer une SCI, ils devraient également songer à évaluer au préalable les implications fiscales en Suisse et en France.  


Publié par Stefano Cavargna (email)

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