Restrictions à la vente d’un logement à son locataire
22/06/2016

Restrictions à la vente d’un logement à son locataire

Par votation populaire du 5 juin 2016, les Genevois ont refusé par une majorité de 51.8% une modification de la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR) visant à permettre à des locataires de longue date d’accéder à la propriété de leur appartement. La présente newsletter entend fournir un bref rappel du contexte de cette votation et des restrictions imposées par la LDTR en matière d’aliénation des appartements locatifs situés dans le canton de Genève.

I. Contexte de la votation

La LDTR est une loi cantonale genevoise qui a pour but la préservation de l’habitat et des conditions de vie existants. Cette loi prévoit notamment des restrictions quant à l’aliénation des appartements destinés à la location.

La modification législative soumise à votation avait pour objectif d’autoriser, à certaines conditions, la vente d’un appartement au locataire qui l’occupe et ainsi supprimer l’actuel art. 39 al. 3 LDTR devenu impraticable au fil du temps. Cette disposition, dans sa teneur actuelle, prévoit qu’un locataire peut être autorisé à acquérir son logement si (i) le locataire en question occupe effectivement son logement depuis au moins 3 ans, (ii) 60% des locataires de l’immeuble acceptent formellement cette acquisition et (iii) les locataires restants obtiennent la garantie de ne pas être contraints d’acheter leur appartement ou de partir.

Bon nombre d’autorisations ont été accordées sur cette base jusqu’à ce que les tribunaux durcissent la situation en ajoutant une condition supplémentaire : l’intérêt privé devait en plus être prépondérant par rapport à l’intérêt public consistant à garder des appartements sur le marché locatif. Alors même que les conditions de l’art. 39 al. 3 LDTR étaient réunies, il convenait ainsi au propriétaire et/ou au locataire de démontrer que leur intérêt privé à la vente prime l’intérêt public au maintien de l’affectation locative de l’appartement.

Dans la pratique, tant les tribunaux cantonaux que le Tribunal fédéral ont largement limité la portée de l’art. 39 al. 3 LDTR en niant quasi systématiquement la prépondérance de l’intérêt privé par rapport à l’intérêt public de la préservation du parc immobilier de logements locatifs. Cette jurisprudence a eu un impact considérable sur la pratique du Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (DALE) dans la délivrance des autorisations de vente.

C’est dans ce contexte que le Grand Conseil a adopté le 13 novembre 2015 un projet de loi modifiant la LDTR. Cette modification prévoyait le droit des locataires d’accéder à la propriété de leur appartement à condition notamment que le locataire ait effectivement occupé son appartement depuis au moins 5 ans et le prix de vente ne dépasse pas CHF 6'900.- le mètre carré. L’ASLOCA et le Rassemblement pour une politique sociale du logement ont lancé un référendum contre cette modification législative, ce qui a amené les Genevois à se prononcer le 5 juin 2016 et à rejeter cette modification de la LDTR.

Les restrictions en matière de vente d’un logement à son locataire sont dès lors maintenues. Il est donc essentiel pour les propriétaires de connaître leur étendue à l’aune de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral.

II. Restrictions en matière d’aliénation des appartements locatifs

A. Principe

La vente d’appartements situés à Genève et tombant dans le champ d’application de la LDTR est soumise à autorisation du DALE. La LDTR vise spécifiquement les appartements à usage d’habitation, jusqu’alors offerts en location dans la mesure où l’appartement entre, en raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (taux des logements vacants inférieur à 2% du parc immobilier par catégorie). En pratique, cela signifie qu’une très large majorité des appartements locatifs sont visés, étant précisé que pour l’année 2016 (à l’instar des années précédentes), le Conseil d’Etat a arrêté que les appartements de 1 à 7 pièces se trouvent dans un état de pénurie.

B. Motifs d'autorisation

Selon les dispositions actuelles de la LDTR, la vente d’un appartement locatif doit être autorisée lorsqu’il (i) a été, dès sa construction, soumis au régime de la propriété par étages ou à une autre forme de propriété analogue, (ii) était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la propriété par étages ou à une autre forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée, (iii) n’a jamais été loué et (iv) a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR.

L’objet de la votation du 5 juin 2016 s’inscrivait dans ce cadre dans la mesure où la loi entendait ajouter à cette liste l’acquisition par un locataire de l’appartement qu’il occupe comme nouveau cas de vente autorisée.

C. Motifs de refus

Lorsqu’un cas de vente autorisée ne se présente pas, le DALE doit procéder à une pesée des intérêts entre l’intérêt privé de l’acquéreur d’acheter (ou du propriétaire de vendre) le logement et l’intérêt public du maintien, en période de pénurie, de l’affectation locative de l’appartement loué. Le DALE refuse l’autorisation lorsque l’intérêt public prime l’intérêt privé, ce qui, dans la pratique, est souvent le cas.

Les seules exceptions prévues par le règlement d’application de la LDTR où l’intérêt privé est présumé l’emporter sont les ventes intervenues pour que le propriétaire puisse (i) liquider son régime matrimonial ou une succession, (ii) satisfaire à un plan de désendettement ou (iii) prendre un nouveau domicile en dehors du canton de Genève.

D. Vente d’un logement à son locataire

L’autorisation de vendre un logement à son locataire peut se fonder tant sur les motifs généraux d’autorisation (cf. Supra II B) que sur les critères uniquement applicables à la vente au locataire en place (cf. principes exposés sous Supra I). Dans ce dernier cas et comme nous l’avons indiqué, la jurisprudence actuelle démontre que le DALE et les tribunaux nient quasi systématiquement la prépondérance de l’intérêt privé du locataire ou du propriétaire par rapport à l’intérêt public de la protection du parc locatif.

Les tribunaux considèrent en effet qu’un intérêt de pure convenance du locataire (par exemple obtenir le droit de disposer librement de son appartement afin d’en jouir durablement ou d’en disposer pour cause de mort), n’est pas prépondérant face à l’intérêt public compte tenu de la pénurie notoire sévissant dans le canton de Genève.

Un arrêt récent du Tribunal fédéral mérite d’être cité dans ce contexte (1C_68/2015). En effet, le Tribunal fédéral a annulé un refus du DALE d’autoriser une vente d’un appartement à son locataire au motif que l’intérêt privé de l’acquéreur primait l’intérêt public de la préservation du parc immobilier locatif. Le Tribunal fédéral précise que «  (…) l’autorité ne peut se contenter d’évoquer de manière générale la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif, sans quoi une autorisation de vente ne serait pratiquement jamais possible (…) ». En l’occurrence, le Tribunal fédéral a relevé que le locataire en question (i) occupait son logement depuis plus de six ans, (ii) établissait sa volonté de l’occuper sur le long terme, (iii) acquérait l’appartement à un prix inférieur à celui du marché et (iv) payait des frais pour l’acquisition de son logement qui lui revenaient finalement moins cher que le montant des loyers. Cet arrêt du Tribunal fédéral assouplit quelque peu la jurisprudence stricte rendue jusqu’alors en matière de vente d’appartements aux locataires en place.

III. Conclusions

A Genève, la LDTR est considérée par certains comme la bête noire de l’immobilier.

Faisant suite à de nombreuses décisions judiciaires, tant au niveau cantonal que fédéral, le DALE a élaboré des pratiques qui sont issues d’une interprétation très restrictive de la loi. Obtenir une autorisation sur la base de l’exception prévue à l’art. 39 al. 3 LDTR se révèle ainsi extrêmement difficile en pratique, malgré un assouplissement récent de la jurisprudence.

La LDTR a connu une longue série de votes, notamment sur la question de la vente d’appartements aux locataires en place. Plusieurs projets de loi visant à réformer encore la LDTR ont déjà été déposés. Il est donc certain que les Genevois seront amenés à voter à nouveau sur cette loi à l’avenir.

Newsletter - Juin 2016.pdf

 

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