Révision du droit de la société anonyme
05/12/2016

Révision du droit de la société anonyme

Le 23 novembre 2016, le Conseil fédéral a transmis au Parlement le projet de loi visant à moderniser le droit de la société anonyme. Cette révision concerne principalement l’assouplissement des dispositions sur la fondation et le capital, le renforcement des droits des actionnaires, la rémunération et l’égalité entre hommes et femmes parmi les cadres des sociétés anonymes cotées en bourse et la transparence des flux financiers dans le secteur des matières premières. La présente Newsletter vise à rappeler le contexte de cette révision et les points essentiels du projet de loi soumis au Parlement.

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I. Contexte

Le 21 décembre 2007, le Conseil fédéral avait déjà soumis au Parlement un projet de révision visant à moderniser le droit de la société anonyme et le droit comptable. Le nouveau droit comptable a finalement été séparé des autres dispositions pour entrer en vigueur le 1er janvier 2013.

En ce qui concerne le nouveau droit de la société anonyme, les délibérations au Parlement ont été considérablement retardées. En effet, par le dépôt de l’initiative populaire « contre les rémunérations abusives » (initiative Minder) début 2008, les travaux législatifs en cours ont été modifiés de manière conséquente. L’acceptation de cette initiative le 3 mars 2013 a contraint le Conseil fédéral d’adopter dans l’urgence l’ordonnance contre les rémunérations abusives dans les sociétés cotées en bourse (ORAb) entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Les dispositions de l’ORAb devant être transposées dans une loi au sens formel, le Parlement a renvoyé le projet de loi de 2007 au Conseil fédéral en le chargeant de coordonner cette tâche avec l’introduction du nouveau droit de la société anonyme. Le Conseil fédéral a ainsi présenté un avant-projet de révision du droit de la société anonyme (Avant-Projet) mis en consultation jusqu’au 15 mars 2015.

Le Conseil fédéral soumet désormais au Parlement le projet de loi (Projet) qui reprend la révision du droit de la société anonyme, laissée en friche depuis plusieurs années, à la lumière des avis recueillis lors de la procédure de consultation. En substance, le Projet s’articule autour des thèmes suivants :

- Rémunérations dans les sociétés anonymes cotées en bourse (cf. Infra II) ;

- Représentation des sexes dans les grandes sociétés anonymes cotées en bourse (cf. Infra III) ;

- Transparence dans le secteur des matières premières (cf. Infra IV) ;

- Modernisation du droit de la société anonyme (cf. Infra V).

II. Rémunérations

Le Projet entend retranscrire dans les différentes lois fédérales (notamment le Code des obligations) les dispositions déjà contenues dans l’ORAb applicables aux sociétés anonymes cotées en bourse. En effet, l’ORAb étant une règlementation transitoire, une telle transposition est désormais nécessaire. Cela étant précisé, le Projet complète l’ORAb sur un certain nombre de points en prévoyant notamment les nouveautés suivantes :

- Les primes d’embauche seront interdites si elles ne compensent pas un désavantage financier établi lié au changement d’emploi.

- Les indemnités découlant d’une interdiction de faire concurrence seront également prohibées si elles ne sont pas justifiées par l’usage commercial. Ces indemnités ne doivent pas dépasser la rémunération moyenne des trois dernières années.

- Si les actionnaires votent de manière prospective sur la rémunération variable des cadres supérieurs, ils devront également voter à titre consultatif sur le rapport de rémunération.

Le Conseil fédéral a toutefois renoncé à introduire dans le Projet toute une série d’autres restrictions qui figuraient dans l’Avant-Projet et qui dépassaient le cadre strict de l’ORAb. En effet, ces dispositions ont reçu un accueil défavorable lors de la procédure de consultation. Dans ce contexte, on peut citer l’abandon de l’obligation de définir dans les statuts le rapport maximal entre la rémunération fixe et la rémunération globale et l’obligation de publier les rémunérations accordées à chacun des membres de la direction. Il convient de noter que les sociétés ont toutefois la faculté d’inscrire ces principes, non repris dans le Projet, directement dans leurs statuts.

III. Représentation des sexes

Les sociétés cotées en bourse soumises à révision sont concernées par cette règlementation. Pour ces sociétés, le Projet prévoit un taux minimum de 30% de femmes au sein du conseil d’administration et 20% au sein de la direction. Des délais transitoires sont prévus afin de donner aux sociétés le temps nécessaire pour recruter, le cas échéant, des candidats appropriés : 5 ans pour les conseils d’administration et 10 ans pour les directions.

Si ces taux minimum ne sont pas atteints dans les délais transitoires, ces sociétés devront en indiquer les raisons (selon le principe « appliquer ou expliquer ») et mentionner les mesures prévues pour promouvoir le sexe moins représenté dans le rapport de rémunération.

IV. Transparence dans le secteur des matières premières

Les matières premières provenant généralement de pays en voie de développement où les structures de l’état de droit sont parfois insuffisantes, le Conseil fédéral entend renforcer la transparence des flux financiers dans ce secteur. A l’instar du droit européen, le Projet prévoit ainsi que les sociétés soumises à révision et actives dans l’extraction de matières premières devront déclarer dans un rapport publié par voie électronique les paiements effectués au profit de gouvernements à partir de CHF 100'000.- par exercice comptable.

V. Modernisation du droit de la société anonyme

A. Fondation, structure et modification du capital, réserves et distributions

Les modifications essentielles proposées par le Projet en matière d’assouplissement des dispositions sur la fondation et le capital sont les suivantes :

- Nouveauté par rapport à l’Avant-Projet, la forme authentique ne sera plus obligatoire pour fonder, dissoudre et radier une société anonyme ou une société à responsabilité limitée dont les statuts se limitent au minimum légal et dont le capital est libellé et libéré en francs suisses.

- Afin d’harmoniser le nouveau droit comptable et le droit de la société anonyme, le capital-actions pourra être libellé dans une monnaie étrangère, soit la monnaie la plus importante au regard des activités de l’entreprise. Cette devise étrangère s’appliquera également aux opérations liées au capital, notamment la constitution de réserves et la décision de distribuer un dividende. En revanche, la libération partielle du capital-actions reste possible. En effet, le Conseil fédéral a abandonné la suppression de la libération partielle des actions qui figurait dans l’Avant-Projet.

- La valeur nominale minimale d’un centime est supprimée, étant précisé qu’une valeur nominale supérieur à zéro centime est désormais exigée.

- Les règles complexes sur les reprises de biens (effectives ou envisagées) lors de la fondation et des augmentions de capital sont supprimées.

- Une nouvelle marge de fluctuation du capital permet au conseil d’administration d’augmenter ou de réduire le capital-actions dans une fourchette fixe dans un délai maximum de 5 ans. Cette nouvelle institution juridique remplace le système actuel de l’augmentation autorisée du capital.

- La limitation du montant du capital-participation au double du capital-actions lorsque les bons de participation de la société sont cotés en bourse, est abolie.

- Le traitement des réserves est harmonisé avec la nouvelle réglementation comptable. En effet, le Projet libéralise les dispositions sur le remboursement aux actionnaires des réserves légales issues du capital et du bénéfice en permettant une distribution de ces réserves sous certaines conditions. Contrairement à l’Avant-Projet, une telle distribution ne doit plus obligatoirement être soumise à l’attestation d’un expert-réviseur.

- Les dividendes intermédiaires sont autorisés pour les sociétés soumises à révision, pour autant qu’il existe une base statutaire et qu’un bilan intermédiaire ait été établi et vérifié.

B. Gouvernance et droits des actionnaires

Le Projet entend renforcer les droits des actionnaires et rendre plus flexible l’organisation de la société anonyme afin d’améliorer la gouvernance d’entreprise :

- Tout actionnaire d’une société non cotée disposant d’un moins 5% du capital-actions peut désormais demander, par écrit, des renseignements en dehors de l’assemblée générale. Le conseil d’administration est tenu de répondre aux demandes des actionnaires dans un délai de 4 mois.

- Les conditions pour requérir l’institution d’un contrôle spécial sont allégées dans la mesure où la valeur seuil requise est réduite à 3% du capital et des droits de vote pour les sociétés cotées.

- La tenue d’une assemblée générale avec des moyens électroniques (assemblée générale dite virtuelle) simultanément à plusieurs endroits ou à l’étranger est désormais possible.

- La décision par voie circulaire, actuellement réservée au conseil d’administration, sera étendue à l’assemblée générale.

- Abaissement des seuils pour le droit de convoquer une assemblée générale à 5% et pour le droit d’inscrire un objet à l’ordre du jour à 0.5% pour les sociétés cotées (10%, respectivement 5%, pour les sociétés non cotées).

Contrairement à son Avant-Projet, le Conseil fédéral a renoncé à (i) permettre aux actionnaires d’intenter une action en remboursement ou en responsabilité aux frais de la société, (ii) introduire la possibilité statutaire d’instaurer des dividendes plus ou moins élevés selon que les actionnaires sont actifs ou passifs lors de l’assemblée générale et (iii) mettre à la disposition des actionnaires de sociétés cotées un forum de discussion électronique avant l’assemblée générale.

C. Assainissement et insolvabilité

Le Projet impose des règles de comportement spécifiques au conseil d’administration afin d’inciter les entreprises à s’assainir rapidement et si possible avant l’ouverture d’une procédure concordataire (« systèmes d’alerte précoce »):

- En cas de menace d’insolvabilité dans les 6 mois (12 mois pour les sociétés soumises à révision), un plan de trésorerie doit être établi, la situation économique de l’entreprise doit être évaluée et des mesures visant à garantir la solvabilité prises.

- Des obligations similaires sont prévues en cas de perte d’un tiers du capital-actions et des réserves légales.

- Le devoir d’aviser le juge en cas de surendettement est maintenu. Le conseil d’administration bénéficie cependant d’un délai de tolérance de 90 jours pour avertir le juge s’il peut faire valoir un projet d’assainissement concret et viable et s’il remplit certaines autres conditions.

VI. Conclusion

Le Projet sera âprement discuté aux chambres du Parlement et risque encore de faire l’objet de modifications. Vu la portée considérable du Projet, il est difficile d’estimer aujourd’hui une date d’entrée en vigueur. A ce stade, une entrée en vigueur avant 2019 semble toutefois exclue.

Cela étant précisé, certaines sociétés devront adapter non seulement leur fonctionnement, mais également leurs statuts et règlements aux nouvelles dispositions impératives dans un délai de deux ans à compter de leur entrée en vigueur. Il est ainsi essentiel pour les sociétés visées de suivre de près l’évolution de cette révision.

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