Le 23 novembre 2016, le Conseil Fédéral transmettait au Parlement un projet de loi visant à moderniser le droit de la société anonyme. Le projet de réforme a été adopté le 19 juin 2020 après plusieurs années de débats parlementaires. Le délai référendaire ayant expiré le 8 octobre 2020, la révision du droit de la SA (la Réforme) est désormais définitive. Elle comporte essentiellement quatre volets : le premier est relatif aux rémunérations dans les sociétés cotées, le deuxième porte sur la modernisation du droit ordinaire de la SA, le troisième concerne la fixation de seuils pour la représentation des sexes et le quatrième porte sur l’introduction d’une plus grande transparence dans le secteur des matières premières. Les deux derniers volets entreront en vigueur le 1er janvier 2021. Quant aux deux premiers, le Conseil Fédéral a annoncé une possible entrée en vigueur en 2022, ces modifications nécessitant des dispositions d’exécution. Cette Newsletter présente les points essentiels de la Réforme.
I. Rémunération des dirigeants de sociétés cotées
Faisant suite à l’acceptation de l’initiative populaire dite « Minder », le Conseil Fédéral a édicté une norme provisoire, l’ordonnance du 20 novembre 2013 contre les rémunérations abusives (ORAb), entrée en vigueur le 1er janvier 2014. La Réforme transfert les dispositions de l’ORAb dans les diverses lois formelles concernées, à savoir le code des obligations (CO), le code pénal (CP) et la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP).
S’agissant des règles applicables à la SA, la Réforme reprend l’essentiel des dispositions de l’ORAb. Elle ajoute toutefois quelques précisions, au nom de la sécurité juridique, et notamment les points suivants :
- Le versement d’une prime d’embauche, indemnité versée à l’entrée en service, n’est autorisé que si elle compense un « désavantage financier établi » en lien avec le changement d’employeur ;
- Le versement d’une indemnité découlant d’une interdiction de faire concurrence n’est autorisé que si son montant ne dépasse pas la rémunération moyenne des trois derniers exercices et si l’interdiction elle-même est justifiée par l’usage commercial ; et
- Le versement d’une indemnité en lien avec une précédente activité en tant qu’organe de la société n’est autorisé que si elle est conforme à la pratique du marché.
II. Modernisation du droit ordinaire de la SA
1. Capital et dividendes
La Réforme apporte, notamment, les modifications suivantes du droit ordinaire de la SA :
- Suppression de l’obligation de fixer la valeur nominale des actions en francs suisses : le capital-actions de la société pourra être fixé dans une monnaie étrangère autorisée par le Conseil Fédéral ;
- Suppression de la valeur nominale minimale de 1 centime : les actions devront avoir une valeur nominale supérieure à zéro ;
- Suppression des exigences formelles applicables aux reprises de biens ;
- Introduction de la « marge de fluctuation du capital » : les statuts pourront autoriser le conseil d’administration à modifier à la hausse et/ou à la baisse le capital-actions, dans une certaine fourchette, dans un délai de 5 ans au maximum ;
- Modification de la procédure de réduction du capital-actions : des dispositions claires et complètes comblent les lacunes du droit actuel et la procédure de réduction sera simplifiée ;
- Modification de la disposition relative au droit de souscription préférentiel : nul ne doit être avantagé ou désavantagé de manière non fondée par la limitation ou la suppression du droit de souscription préférentiel ou par la fixation du prix d’émission ;
- Adaptation des dispositions sur les réserves au nouveau droit comptable et libéralisation des dispositions sur le remboursement aux actionnaires, notamment, des réserves légales issues du capital ; et
- Introduction de la possibilité de verser des dividendes intermédiaires à certaines conditions.
2. Gouvernance et droits des actionnaires
La Réforme comporte également de nouvelles dispositions relatives à la tenue des assemblées générales (AG) ainsi qu’aux droits des actionnaires :
- Les AG virtuelles sont désormais autorisées à condition que les statuts le prévoient et qu’un représentant indépendant soit désigné par le conseil d’administration (la renonciation statutaire à la désignation de ce représentant est possible dans les sociétés non cotées) ;
- L’AG peut être tenue simultanément en plusieurs lieux ou à l’étranger, à certaines conditions ;
- Une AG universelle peut être tenue par écrit ou sous forme électronique, à moins qu’une discussion ne soit exigée par un actionnaire ou son représentant ;
- Les seuils pour requérir la convocation de l’AG et l’inscription d’un objet à l’ordre du jour ont été abaissés : dans les sociétés cotées, 5% du capital-actions ou des voix suffisent pour la convocation et le seuil de 0.5% du capital-actions ou des voix permet de demander l’inscription d’un objet à l’ordre du jour ; dans les sociétés non cotées, le seuil de 10% du capital-actions (avant, CHF 1 million en valeur nominale) ou des voix reste inchangé pour la convocation et un seuil de 5% du capital-actions ou des voix permet désormais l’inscription d’un objet à l’ordre du jour ;
- Un droit de consultation des livres et dossiers est accordé aux actionnaires représentant au moins 5% du capital-actions ou des voix, à condition qu’il soit nécessaire à l’exercice des droits de l’actionnaire et qu’il ne compromette pas le secret des affaires ou d’autres intérêts sociaux ; et
- Le droit de demander un contrôle spécial, désormais appelé « examen spécial », est allégé dans les sociétés cotées : en cas de refus de l’AG, les actionnaires détenant au moins 5% du capital-actions ou des voix peuvent saisir le juge pour qu’il l’ordonne.
3. Mesures d’assainissement
La Réforme apporte quelques modifications et clarifie les règles applicables en matière d’assainissement et d’insolvabilité de la société :
- Le conseil d’administration doit surveiller la solvabilité de la société et en cas de menace d’insolvabilité, il doit prendre les mesures appropriées pour garantir sa solvabilité ;
- En cas de perte de capital, le conseil d’administration doit prendre des mesures d’assainissement permettant d’y mettre un terme ;
- En cas de risque de surendettement, le conseil d’administration a l’obligation, comme précédemment, d’établir des comptes intermédiaires et d’aviser le juge ; cette notification peut être ajournée en cas de postposition de créances ou s’il existe des raisons sérieuses d’admettre qu’il est possible de supprimer le surendettement en temps utile et au plus tard dans les 90 jours suivant l’établissement des comptes intermédiaires et que l’exécution des créances ne s’en trouve pas davantage compromise ; et
- Suppression de l’ajournement de la faillite, le sursis concordataire étant la seule procédure d’assainissement judiciaire possible.
III. Egalité des sexes
La Réforme a également pour objectif d’améliorer la représentation des sexes au sein des conseils d’administration et de direction.
Dans les grandes sociétés cotées, à savoir celles qui dépassent le seuil pour un contrôle ordinaire, chaque sexe devra représenter au moins 30% des membres du conseil d’administration et 20% des membres de la direction.
Aucune sanction n’est prévue mais les sociétés qui ne respectent pas ces quotas devront expliquer les raisons du non-respect de ces règles dans leur rapport de rémunération et indiquer les mesures prévues pour y remédier.
Un délai transitoire de 5 ans pour le conseil d’administration et de 10 ans pour la direction est prévu à compter du 1er janvier 2021 pour que les sociétés se mettent en conformité avec ces exigences ou qu’elles expliquent leur non-respect dans le rapport de rémunération.
IV. Transparence dans le domaine des matières premières
Les entreprises suisses soumises au contrôle ordinaire qui sont actives, directement ou indirectement, dans la production de matières premières (minerais, pétrole, gaz naturel) ou dans l’exploitation de forêts primaires devront publier par voie électronique un rapport sur les paiements, d’au moins CHF 100’000.- par exercice, effectués au profit de gouvernements, y compris d’entreprises gouvernementales.
Les entreprises concernées devront se conformer à cette nouvelle obligation à compter de l’exercice qui commence une année après le 1er janvier 2021.
Les entreprises actives uniquement dans le négoce de matières premières sont à ce jour exclues du champ d’application de cette obligation. Le Conseil Fédéral est toutefois autorisé à étendre l’obligation de transparence à ces entreprises, « dans le cadre d’une procédure harmonisée à l’échelle internationale ».