Le 1er janvier 2016, le nouvel article 305bis CP est entré en vigueur. Il intègre le titre « Crimes ou délits contre l’administration de la justice » du CP et résulte de la mise en œuvre des recommandations 2012 du GAFI dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Certains délits fiscaux qualifiés consistent désormais en des infractions préalables au blanchiment d’argent. Cette nouvelle disposition implique des mesures de prudence supplémentaires de la part des conseillers dans la gestion des mandats. Le but de la présente Newsletter est de décrire (i) les contours du délit fiscal qualifié (en matière d’impôts directs) et de l’escroquerie fiscale (en matière d’impôts indirects) en tant qu’infractions préalables au blanchiment d’argent, et (ii) les conséquences auxquelles pourraient être confrontés les conseillers.
I. Contexte
Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental créé en 1989. La Suisse est un des membres fondateurs. Le GAFI publie des recommandations qui sont considérées comme les normes internationales de référence dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Une fois ses recommandations émises, le GAFI fait régulièrement des évaluations de leur adoption dans la législation interne des pays membres. La Suisse a fait l’objet d’une évaluation en 2005. Elle sera à nouveau évaluée dans le courant de l’année 2016.
Les recommandations 2012 sont les plus récentes. Elles ont conduit à des modifications législatives en Suisse sur sept thèmes, à savoir (i) la transparence des personnes morales et les actions au porteur, (ii) les obligations des intermédiaires financiers lors de l’identification des bénéficiaires économiques des personnes morales, (iii) l’élargissement de la définition des personnes politiquement exposées, (iv) la qualification d’infractions fiscales graves en infractions préalables au blanchiment, (v) le contrôle des paiements en espèces lors de vente mobilière ou immobilière, (vi) le renforcement du système de communication des soupçons et (vii) l’amélioration de la mise en œuvre de la norme GAFI relative au financement du terrorisme.
Le quatrième volet des recommandations 2012, plus particulièrement son intégration dans l’ordre juridique suisse, fait l’objet de la présente Newsletter.
II. Infractions fiscales qualifiées
A. Notion pénale de blanchiment d’argent
Un acte de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis ch. 1 CP suppose (i) que les valeurs patrimoniales aient une origine délictueuse (infraction préalable), (ii) que l’auteur commette un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation des valeurs patrimoniales (l’acte d’entrave) et (iii) que ce dernier savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’activités délictueuses.
A signaler que toute personne, y compris l’auteur de l’infraction préalable, peut être l’auteur du blanchiment d’argent.
B. Ancien droit
L’ancien article 305bis ch. 1 CP prévoyait que seules les infractions préalables qualifiant de crimes permettaient l’application de la disposition pénale réprimant le blanchiment d’argent. La qualification de crime est donnée lorsque l’infraction préalable est passible d’une peine privative de liberté de plus de trois ans.
Or, en matière d’impôts directs (à savoir notamment les impôts sur le revenu et la fortune, le bénéfice et le capital, les gains immobiliers), aucun acte ne pouvait être constitutif d’un crime, et par conséquent ne pouvait être qualifié d’infraction préalable au blanchiment. En effet, la soustraction fiscale constituait une contravention et la fraude fiscale (usage de faux) un délit.
En matière d’impôts indirects (à savoir notamment la TVA, les droits de douane, l’impôt sur le tabac, l’impôt sur l’alcool, l’impôt anticipé, les droits de timbre), seule la contrebande de marchandises transfrontalière pouvait constituer une escroquerie fiscale qualifiée, à savoir un crime, et par conséquent représenter un acte préalable au blanchiment d’argent.
C. Nouvelles dispositions au 1er janvier 2016
Le nouvel article 305bis ch. 1 CP a élargi la portée de la notion d’infraction préalable en matière de fiscalité directe. En matière de fiscalité indirecte la notion de crime a été élargie à d’autres infractions.
La disposition ne sera applicable qu’aux faits survenus après le 1er janvier 2016.
Désormais, en matière d’impôts directs, l’infraction de blanchiment d’argent est punie si l’argent provient non seulement d’un crime mais aussi d’un délit fiscal qualifié pour autant qu’un certain seuil d’impôts soustraits soit atteint. L’argent pouvant désormais être aujourd’hui blanchi est non seulement le fruit d’un crime mais également celui d’un délit fiscal qualifié.
De plus, en matière d’impôts indirects, le législateur a durci les conditions de répression de l’escroquerie fiscale qualifiée en ne limitant plus uniquement la qualification de crime aux infractions en matière de contrebande de marchandises transfrontalière.
i. Impôts directs
L’infraction préalable au blanchiment est élargie au délit fiscal qualifié.
1) Délit fiscal qualifié
S’agissant de la définition du délit fiscal qualifié, l’article 305bis ch. 1bis CP renvoie explicitement aux articles 186 LIFD et 59 al.1er LHID liés à l’usage de faux.
L’infraction préalable est ici réalisée si, dans le but de commettre une soustraction d’impôt, le contribuable fait intentionnellement un usage de titres faux (bilan, compte de pertes & profits, certificat de salaire, etc., étant précisé que la déclaration d’impôt n’est pas considérée comme un titre).
2) Seuil d’impôts soustraits de CHF 300’000
Un acte de blanchiment selon l’art. 305bis ch. 1bis CP est alors commis si l’infraction préalable a été réalisée et pour autant que CHF 300’000 d’impôts par période fiscale aient été soustraits. Autant les impôts suisses que les impôts étrangers similaires sont pris en compte pour le calcul du seuil.
Dans ce contexte, les impôts cantonaux sur les donations et les successions ne sont pas visés.
L’infraction est également punissable si elle a été commise à l’étranger et qu’elle est aussi condamnable dans cet Etat. A cet égard, le principe de la double incrimination doit être respecté (305bis ch. 3 CP).
ii. Impôts indirects
Le nouvel article 14 al. 4 DPA élargit la qualification d’escroquerie fiscale qualifiée, à savoir de crime, à tous les impôts indirects et non uniquement à la contrebande de marchandises transfrontalière. Afin d’être qualifiée de crime pouvant représenter une infraction préalable au blanchiment d’argent, les conditions cumulatives suivantes doivent être réalisées :
– la réalisation d’une tromperie astucieuse (affirmations fallacieuses, dissimulation de faits vrais, le fait de conforter l’Administration dans l’erreur) ;
– l’auteur a agi par métier ou avec le concours de tiers ;
– l’escroquerie aura procuré à l’auteur ou à un tiers un avantage illicite particulièrement important (aucun seuil n’est déterminé). Il peut s’agir de l’obtention de remboursement indu de contribution de la part de l’Administration, du fait d’éluder une contribution ou une prestation due aux pouvoirs publics ou encore l’atteinte d’une autre manière aux intérêts pécuniaires des pouvoirs publics ;
– la tromperie astucieuse a été commise intentionnellement.
III. Conséquences pour les conseillers
Tous les conseillers devront faire preuve d’une prudence accrue dans la gestion de leurs mandats. L’article 305bis CP est en effet d’application large et ne dépend en particulier pas de la qualification d’intermédiaire financier.
Dans le cadre de l’infraction préalable en matière d’impôts directs, rappelons que si le conseiller est qualifié d’instigateur ou de complice, il sera soumis à une amende. Il répondra surtout solidairement de l’impôt soustrait. Pour un conseiller, l’acte d’entrave, caractéristique du blanchiment d’argent, consiste essentiellement à créer une distance entre l’origine des fonds et l’infraction initiale. Par exemple, la mise en place de structure offshore ou autre afin de dissimuler l’identité des acteurs d’une transaction pourrait être qualifiée d’acte d’entrave. Dès lors, si l’infraction fiscale préalable a été consommée, le conseiller pourra être également inculpé de blanchiment si le seuil des CHF 300’000 a été atteint et s’il réalise un acte d’entrave à la confiscation.
Dans ce contexte, il devient nécessaire d’effectuer un examen approfondi de la conformité fiscale de chaque mandant aussi bien en Suisse qu’à l’étranger.
IV. Conclusions
La notion de délit fiscal qualifié a été introduite dans le cadre des impôts directs et celle de crime a été élargie en matière d’impôts indirects. Les conditions de l’article 305bis CP (en particulier l’infraction préalable nécessitant l’usage de faux et un seuil minimal de CHF 300’000) peuvent paraître élevées à première vue. Toutefois, en présence de situations internationales impliquant la souveraineté fiscale de plusieurs états, il est parfaitement concevable d’atteindre ce seuil plus rapidement. Dans tous les cas, l’analyse individuelle de chaque situation sera nécessaire étant donné les potentielles conséquences pour les conseillers.